[Anne-Marie Brisebarre : ]bPendant longtemps, la stratégie des pouvoirs publics français, au niveau local et national, a consisté à ignorer cette fête, le sacrifice ayant souvent lieu au domicile familial – le fameux « mouton égorgé dans la baignoire » à la une de la presse – ou dans les fermes autour des grandes villes, et à n'intervenir qu'en cas de « troubles à l'ordre public ».
Cependant, dans la région parisienne, des municipalités confrontées à de tels troubles ont, dès les années 80, cherché des solutions acceptables pour tous leurs administrés, musulmans et non musulmans. Car une des spécificités françaises, par rapport aux autres pays européens où existent des quartiers ethniques, est la mixité de l'habitat : nos cités des grandes villes ou de leurs banlieues rassemblent dans un même lieu des familles d'appartenances religieuses et culturelles diverses. Cette mixité, envisagée comme garante d'intégration, devient source de tensions lorsque se produisent des évènements révélateurs d'altérité, comme la pratique du sacrifice dans les espaces communs des cités (garages, caves des immeubles…). Des sites municipaux de sacrifice ont donc été organisés avec l'appui des pouvoirs publics, relayés dans les années 90 par des « sites dérogatoires de sacrifice » dans la grande couronne parisienne, puis à la périphérie de la plupart des grandes villes. Ces espaces temporaires de sacrifice, souvent en plein air, devaient être situés « hors de la vue des non musulmans », donnant à un acte religieusement valorisé un caractère caché.
Coupable d'avoir « organisé l'illégalité », l'administration française a été rappelée à l'ordre par le Bureau vétérinaire de l'Union européenne en 1999 et menacée de fortes amendes si elle continuait à « violer » la directive européenne 93/119 en « autorisant l'abattage rituel pratiqué en plein air par des personnes non autorisées » ce qui se produit lorsque « des milliers de moutons sont mis à mort rituellement en plein air en France au cours de la fête de l'aïd el kébir ». Fin 2001, un arrêt du Conseil d'Etat a donc interdit toute dérogation, cantonnant de nouveau aux abattoirs la pratique du sacrifice musulman. Or ces établissements sont situés en majorité dans les régions de production des animaux, c'est-à-dire loin des villes. Ainsi, la plupart des départements de la région parisienne ne possèdent aucun abattoir. Aussi, après une tentative peu concluante d'utilisation d'abattoirs mobiles à Pantin (Seine-St-Denis) et Evry (Essonne) en 2004, la plupart des familles qui y résident et veulent continuer à sacrifier ne peuvent le faire que dans la clandestinité, comme par le passé.
Dans d'autres pays d'Europe pourtant soumis aux mêmes réglementations communautaires, les pouvoirs publics continuent à fermer les yeux sur les pratiques sacrificielles musulmanes car, en dehors du recours aux abattoirs, un grand nombre se déroule de façon cachée, dans l'espace domestique pavillonnaire en Belgique ou dans des quartiers ethniques en Angleterre ou en Allemagne. Dans ce dernier pays, comme en Espagne, on peut accepte que les fermes servent de lieu de sacrifice pour l'aïd.
Ainsi le choix courageux des pouvoirs publics français de permettre la pratique du sacrifice, tout en contrôlant les nuisances d'un acte s'insérant difficilement dans l'espace urbain, s'est donc retourné contre la France mais aussi et surtout contre les familles de confession islamique.